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Soupe de pangolin

Photo du rédacteur: lquimperlquimper

Texte: Luis AUGUSTO QUIMPER


Traduit de l'espagnol par: Fernand DEFOURNIER, Isabelle PEERS, et Cocó HAMON


Illustrations: Antonieta OLIVEROS FOSSA



Valérie, 41 ans : «Faites glisser vers la gauche si vous cherchez un plan cul; je ne suis pas une fille d'un soir».

Toutes, sans exception, aiment voyager, bien manger, faire du shopping, avoir des ″conversations intéressantes″. (Ce n'est pas sur Tinder que vous trouverez les idées qui nous sauveront, les filles; mais c'est à vous de voir). Elles mettent des émojis d'avions, de verres de vin, de couples dansants, d'une cycliste en lycra ; elles mentionnent les ″beaux″ enfants qu'elles ont en garde partagée. J'ai passé mon dimanche matin à regarder l'écran de mon téléphone, en faisant glisser les photos vers la gauche, et aussi vers la droite. Il y a du soleil ce matin; maintenant il semble qu’il va pleuvoir à nouveau; comme si nous n'en avions pas assez avec ce confinement. Mieux vaut mettre Mozart, la Jupiter, ou le concerto pour violon de Tchaïkovski: une énergie viscérale pour dominer le virus de la solitude, ce qui nous fait parler tout seul, penser, à trois heures du matin, s'ils passeront à la prochaine phase de confinement, à plus de restrictions. C'est comme un piano oscillant au-dessus de ma tête. Le concerto pour piano de Rachmaninoff sera pour plus tard, lorsque la malédiction chinoise sera passée; ce n'est pas le moment de devenir (encore plus) mélancolique.


Je refuse de répéter le nom de ce putain de virus. Je promets de ne plus jamais boire de bière mexicaine pour ne pas avoir à passer par ça. J'ai arrêté de regarder les infos à la télévision parce que je ne veux plus en entendre parler de ma vie, que j'espère encore longue, mais dans l'état actuel des choses, on ne sait jamais. Aussi pour ne pas voir ces gens au supermarché en train de se disputer pour du papier toilette, de la sauce tomate, des flacons de savon liquide, comme s'ils voulaient en remplir leur baignoire et s’y plonger entièrement. Je pourrais jeter la télévision par la fenêtre, je n'en aurai pas besoin dans les prochaines semaines... ou, qui sait, des mois. Ils ont suspendu les matchs de la Champions League, les courses de moto GP, les matchs de La Liga. Pour moi, ils peuvent annuler les Jeux olympiques de Tokyo —cette cérémonie de la torche olympique est le summum du ridicule humain—, mais de grâce, ne touchez ni à l’Eurocupe, ni à Roland Garros. Ne vous mêlez pas de ça. «Prends un abonnement à Netflix —me conseille ma mère au téléphone depuis Piura, à six fuseaux horaires de distance— ce n'est pas cher, mon chéri». Non, ma chère maman, moi j'aime regarder les films assis dans un fauteuil en velours, ma francesita à ma droite et l'allée à ma gauche, entouré de gens qui parlent (pas trop non plus, et sans popcorn dans la bouche s'il vous plaît), et non affalé sur mon canapé avec le cactus que j'ai acheté chez Ikea comme seule compagnie vivante, même s'il ne me répond pas quand je lui parle. D’ailleurs, mon canapé, ces derniers jours, a commencé à s'affaisser d'un côté; je vais devoir le changer une fois que cette aliénation collective sera terminée. Les matchs de hockey du samedi de mes deux garçon aussi suspendus «jusqu’à nouvel ordre»; les entraînements annulés, reportés, interdits jusqu'après Pâques... ou plus tard. Qui sait? Comment vais-je combler ce vide que je ressens dans l’estomac? C'est pour nous protéger, disent-ils. Nous protéger? Ils nous ont mis à terre et continuent de nous frapper. Il ne manque plus qu'ils nous donnent un coup de pied dans le ventre en nous interdisant aussi les promenades dans le parc (une fois par jour et en solo, oui, mais ce sont quand même des promenades). Cela réduira les contagions, messieurs les dirigeants, mais augmentera le nombre de corps qui se jetteront par les fenêtres; à vous de voir avec vos mesures.


Geraldine, 45 ans : «Mère heureuse, à temps partagé, de deux pré-adolescents; je mène une vie très occupée; je cherche un homme fort qui sait ce qu'il veut dans la vie». Je suis désolé chère Geraldine, mais je ne remplis pas cette dernière exigence; je te le dis franchement et te souhaite bonne chance dans ta recherche.


Le plus pathétique sont les photos où on les voit sauter les bras ouverts. Personne ne leur a dit, à ces femmes déjà matures et pour la plupart mères, qu’elles ont l'air ridicules les pieds en l’air? Et ces photos où elles font des bisous à la caméra. À notre âge, le «close-up» devrait être interdit sur «l'application de rencontres». «L'application de rencontres», c'est comme ça qu'ils l’appellent, une aide pour lutter contre la solitude, comme ils disent. Ce n'est pas vrai: en ces temps de pandémie, Tinder n'est même pas un palliatif au mal qui m'a infecté. Que faire si je match avec une des amoureuses de la danse —toutes sans exception ″adorent danser″? Salut, comment ça va? un petit café, un verre de vin, quelques cocktails ... dans sept ou huit semaines? Il n'y a pas un seul endroit ouvert dans un rayon de trois mille kilomètres. Oublie, champion, ton café latte à la Place Jourdan, avec le livre de la maestra Lucía Berlín à la main; oublie de manger asiatique au centre-ville; un Rioja avec pata negra sur le marché du Place Chatelain un mercredi de printemps; des bières belges sur la place du Luxembourg, dans le quartier européen de la soi-disant capitale de l'Europe. Bruxelles est alitée, avec une toux sèche et un mal de gorge, de la fièvre légère, mais qui progresse. Un peu comme les jours des attentats terroristes dans le métro et à l'aéroport il y a quatre ans, qui n’ont duré qu'un jour ou deux, trois ou quatre pour ceux qui exagèrent. Maintenant, on ne sait pas... mais ça risque de durer longtemps, à ce qu’on dit. Ni théâtres, ni expositions, ni performances auxquelles se rendre, au cas où le couple potentiel se serait auto-défini comme ″engagé" dans l'art avec un émoticône d'une palette d'aquarelle et un pinceau. Il ne reste que le parc pour le moment. Que dirais-tu si nous prenions un peu de pain sec pour le jeter aux canards aux étangs d'Ixelles, ma belle? Comme si nous étions un couple de retraités, de ceux qui parlent aussi seuls, mais tout le temps. Tant qu'il ne pleut pas, bien sûr. Comme ça, nous apprendrons à nous connaître tout en respectant la distance de sécurité d'un mètre et demi établie par l'OMS, ma chère. Nous sommes des citoyens responsables: nous nous mouchons avec des mouchoirs en papier que nous jetons dans une poubelle avec couvercle pour que la bête ne s'échappe pas.


Laura, 41 ans: «Le secret d'une relation solide est comme un bon vin, cela prend du temps». Désolé, Laurita, mais je ne suis pas d’accord avec toi: pour moi, plus le temps passait avec mon ex, plus ça avait un goût de vinaigre plutôt qu’autre chose.


Il y a tellement de profils sur Tinder que je pourrais passer toute la quarantaine à les regarder, tellement de êtres humain nécessitant une histoire d’amour; le désir d'une vie différente est très répandu, c'est presque global, comme la pandémie. En tous les cas, je n'ai pas besoin d'un nouveau match, j'ai déjà la francesita —même si elle est actuellement à dix-huit minutes de distance, selon Google Maps; presque une heure et demie si je marche vite—, mais le kiosque à journaux de la place n’ouvre plus le dimanche, "jusqu’à nouvel ordre″, également: je dois occuper les heures avec quelque chose. Lire le supplément dominical d'El País sur iPad, c'est comme faire l'amour avec un préservatif: il vaut mieux s'abstenir.


Hier soir je l'ai vue, la francesita, je veux dire, mais pas dans mon appartement, mais dans le sien. Ce n'était pas le plan original, mais tous les plans originaux ont été foutus en l'air ces derniers jours. Et pourquoi? «La nounou a annulé à la dernière minute, elle ne peut pas venir s'occuper du petit, je ne peux pas le laisser seul; désolée, mon chéri». La nounou avait-elle une toux sèche, des difficultés à respirer, de la fièvre? Non, juste peur de prendre le tram: «Le poison est dans l'air, madame». Ma vie intime (pardon pour l'euphémisme) en prend aussi un sacré coup par cette putain de situation. «De toute façon, j'aimerais te voir, mon amour». Bon, face à une telle demande, surtout si elle est en français, tout homme en bonne santé physique et mentale entrerait au centre même du marché de Wuhan, là où les Chinois vendent des pangolins pour la soupe: ils sont là, accrochés par la tête, juste à côté des canards plumés pour le canard laqué... et des mouches. «Tu peux venir entre dix-huit et vingt heures, pour l’apéro; ensuite, j'ai promis à Victor —c'est ainsi que s'appelle l'importun— que nous allons regarder Angry birds ensemble». « Bien sûr, bien sûr, je comprends parfaitement, ma belle». On ne peut pas rivaliser avec l'amour maternel, Luciano, à quoi penses-tu, mon vieux. De toute façon, c'était bien mieux que de rester dans mes quatre-vingt-cinq mètres carrés à parler à mon cactus Ikea. J'ai envoyé un message à Carlos. «Ce serait très irresponsable, Luciano, tu ferais mieux de ne pas y aller», m'a-t-il dit. C'est facile de prêcher, mon cher, quand tu as quelqu'un à embrasser avant d'éteindre ta lampe de chevet, et deux chattes qui pissent sur les faïences de ta cuisine. «Deux tétons tirent plus fort que cent charretons, Carlitos, surtout s'ils sont français[1]», expliquai-je. «Les déplacements sont seulement pour des raisons essentielles, Luciano». « C’est une raison essentielle, sine qua non pour ma stabilité mentale, crois-moi, mon ami».



Je suis allé au Carrefour à pied, je voulais acheter quelque chose: du vin, des cacahuètes, peut-être un dessert. Ils n'acceptent plus les paiements en espèces, même pour une simple laitue. Il vaut mieux vider ses poches de pièces et de billets ″jusqu'à nouvel ordre". De plus, il faut tout scanner soi-même à la caisse automatique. Je préférerais payer aux autres caisses, celles où les gens sourient, pratiquer un peu une conversation traditionnelle (sans écran Zoom, Skype ou je ne sais quoi interposé), mais maintenant, celles-ci sont réservées aux personnes âgées. Ils l'affichent sur une pancarte à l'unique entrée qu'ils ont laissée ouverte, à côté du flacon de désinfectant liquide que l'on doit obligatoirement appliquer sur les mains avant d'entrer. Malgré les nuits difficiles et la barbe de six jours, je n'ai pas encore l'air d'avoir plus de soixante-cinq ans. Tant pis. Je m'embrouille en pesant les mandarines, les bananes, les tomates. Ne pourraient-ils pas nous faciliter les choses? Tous les autres magasins sont fermés... sauf les pharmacies, mais les choses ont changé là aussi. Dans celle située à l'angle de la place, où je vais toujours depuis que j'ai emménagé dans ce quartier, ils ont tracé une ligne épaisse jaune canari sur le sol, à un mètre et demi du comptoir. Il est interdit, sous peine d'expulsion, de dépasser cette nouvelle limite pour quelque raison que ce soit. Je me demande ce que feront ceux qui ont une ordonnance. Vont-ils en faire une boule et la leur jeter? Il ne peut y avoir plus de trois personnes à l'intérieur de la pharmacie en même temps, une pour chaque dix mètres cubes d'air, le rayon d'attaque de la bête. C'est ce que dit la loi d'urgence. J'ai dû attendre douze minutes dans la rue. Les trois employées, belles en temps de paix, regardent les clients avec des yeux scrutateurs : elles se sont spécialisées dans la détection des porteurs du virus d'un simple coup d'œil, sans test PCR ou autres bêtises. Si vous demandez du Panadol, du sirop contre la toux et un thermomètre, elles ouvrent grand les yeux, font vibrer leurs narines, reculent de quelques centimètres. Zéro pour cent de chance de faire un match sur Tinder avec ces masques, les filles, et que dire des blouses d'hôpital et des gants en latex qu'elles ont enfilés. J'ai demandé, en criant même, un tube de Redoxon. «Autre chose, monsieur?» « Eh bien, oui... une boîte de Durex, s'il vous plaît, madame». «Pourriez-vous parler un peu plus fort, monsieur?» «Oui, madame, ultra-sensibles». La privacité est la première chose qui disparait en temps de crise. Je suis sorti de là avec mes défenses affaiblies: une cible sûre de la menace invisible.



«Évite les grandes avenues, alors —m'a conseillé Carlos—, la police a commencé à contrôler les déplacements». J'ai conduit dans des petites rues pavées (je ne savais pas qu'elles existaient), traversé des quartiers résidentiels et des parcs avec des balançoires brillantes de printemps, mais déserts comme un lundi de janvier. C'était l'heure de pointe, mais je suis arrivé en avance: l'un des rares avantages collatéraux de la quarantaine. Un blondinet avec des dents de lapin et une voix de fillette m'a ouvert la porte. Avec le bras tendu au maximum —les enfants sont les principaux porteurs, disent les spécialistes— je lui ai donné le gâteau aux fraises. Histoire de gagner des points avec l'importun. «Je n’aime que le chocolat, monsieur», me dit-il. Ah, un petit français en préadolescence. Ne t'inquiète pas, Luciano, tout le monde fait des erreurs, surtout par les temps qui courent. Je vais me l'enfoncer dans le cul, boîte compris. Nous nous sommes assis sur le canapé marron, témoin silencieux de moments plus heureux. Tout était prêt: Bordeaux, fromage en petits morceaux, salami, baguette, serviettes en tissu, deux verres en cristal. La culture française exposée sur une petite table en verre. Chips et jus d'orange pour le poussin blondinet. «Ton fils est mignon», ai-je dit à la francesita; —il fallait surmonter l'incident du petit gâteau aux fraises d'une manière ou d'une autre—, il te ressemble beaucoup». Oui, je sais, je ne vais pas gagner le prix de l'originalité pour cette remarque, je l'admets humblement, mais ce sont des temps de lieux communs. Et aussi de "sages″, d’″illuminés". N'importe quel médiocre avec un smartphone est maintenant un épidémiologiste réputé, une éminence en pandémies, un spécialiste expérimenté en techniques de désinfection sanitaire. Cette nouvelle espèce se propage à la vitesse de WhatsApp, Facebook et autres réseaux sociaux. Il faudra également développer un vaccin contre la stupidité humaine; c'est aussi urgent, messieurs les scientifiques, s'il vous plaît. De toute façon, la francesita a fait ces yeux amoureux avec lesquels elle m'illumine parfois, bleus clairs, brillants, implorants. Reste calme, Luciano, reste calme, tu ne vas quand même pas céder, même si nous sommes proches de l'apocalypse globale, à la mièvrerie à ton âge. Ce que tu dois maintenir à tout moment, mon ami, c'est l'esprit positif. Même si cette fois nous étions trois sur le canapé, tout n'était pas perdu: «Je peux aller jouer à la PS4, maman?» «Oui, mon chéri, tu peux» Merci, merci, je m'incline et découvre devant toi, génie créateur de la PS4, que cette crise te prend avec des défenses solides et que le Seigneur —où qu'il soit confiné ces jours-ci— te donne une longue vie. Mais tu ne dois pas crier victoire à l’avance, Luciano, rappelle-toi qu'il y a toujours quelque chose qui s'obstine à te pourrir la vie: la francesita est restée inflexible et ne m'a permis, qu'après beaucoup de savon et de gel désinfectant, de lui prendre les mains et de lui caresser un peu l'entrejambe droite, et cela au-dessus de la couche protectrice de son jean. Rien de plus. Rien de plus? Tu plaisantes ? «Ce n'est pas sûr», a-t-elle dit. «Comment ça ce n'est pas sûr? La faim, la soif, et même l'instinct de survie disparaissent chez les enfants quand ils jouent à la PS4; il n'y a rien qui fasse bouger leur petit derrière de devant l'écran —lui ai-je expliqué à voix haute—; je le sais d’expérience, j'ai des enfants qui souffrent de la même pathologie: ils peuvent passer une journée entière comme ça» «Ce n'est pas ça, Luciano, tu as pris le métro cette semaine, les virus ont une période d'incubation de quatre à cinq jours dans le corps humain». Ça y est, une autre "experte″ dans le domaine. La honte que je me suis tapé à la pharmacie a été pour rien, et l'effet de la pilule que j'ai prise avant de partir, évident au début du contact physique —limité, oui, mais contact malgré tout—, a disparu pour toujours. Argent investi sans aucun retour, camarade. Et tu te dis banquier; tu ferais mieux d'apprendre une fois pour toutes.


Rebecca, 46 : «La douceur est ce que je cherche; une évasion surréaliste. Pas besoin d’honnêteté». Pas besoin d'honnêteté, Rebecca? Tu en es sûre, ma belle? Je pourrais en tenir compte si la francesita reste aussi têtue.


À vingt heures et une minute j'étais à l'extérieur, de retour à l'obscurité. (Il y a 15 ans que tu es arrivé dans le nord de l'Europe, et fixer une heure de fin de visite te semble encore impoli: certaines choses resteront ancrées dans ton cerveau péruvien per secula seculorum, Luciano; il n'y a rien à faire). Je suis rentré chez moi par le même chemin, encore plus solitaire qu'avant. Les Belges prennent les choses au sérieux... pas comme à Piura: «La ville la plus irresponsable du Pérou», selon le président Vizcarra. «Ton père ne comprend pas —me dit ma mère— parle-lui, mon fils». Je me suis préparé quelque chose à manger. J'avais encore une pacquet pour faire du riz-au-poulet que j'ai achetée, avant le confinement, au Raíces Latinas, le petit magasin d'une compatriote, près du rond-point Meiser. Si j’attrape ce putain de virus, autant être bien nourri. J'ai suivi les instructions, mais ce qui est sorti de la casserole était une bouillie verdâtre, pas un riz-au-poulet à la chiclayana[2] comme celui qui était représenté sur la photo. La sauce créole, selon YouTube, n'a rien amélioré du tout. Quand j'ai quitté ma maison et que je me suis installé ici, dans ce qui est devenu mon lieu de confinement, ma sœur, inquiète pour mon avenir alimentaire en tant qu'homme mature divorcé dans un pays étranger, m'a envoyé par courrier de Lima le livre Que vais-je cuisiner? de Nicolini. Mais apprendre à cuisiner à cinquante ans, après tant d'années de spécialisation dans le lavage des casseroles et le nettoyage de la cuisine, c'est comme essayer de monter à cheval en pleine ruée: cela ne peut pas donner de résultats satisfaisants. «Le lomo saltado[3] de maman est meilleur, papa», m'ont fait savoir mes fils —les deux garçons, les deux adolescents— un samedi où ils étaient avec moi, lorsque ma bataille avec la belge, leur mère, était encore ouverte et agressive, et j'ai voulu, naïvement, les avoir de mon côté. Le Péruvien, c'est moi... mais c’est elle qui sait faire la cuisine péruvienne, message reçu, les enfants, limitons-nous alors aux spaghettis bolognaise et aux saucisses avec du riz aux maïs; comme ça, il n’y a pas de risque. Cette idée de développer de nouvelles compétences à mon âge a ses limites. Leçon apprise. La sagesse consiste également à accepter ses limites, à savoir ce que l'on ne sait pas et ne saura jamais, Luciano. Mise à part la page qui explique comment faire un pisco sour, le petit livre jaune n'a plus été ouvert dans cette maison. Désolé, petite sœur.


Amélie, 45 ans: «Une Carrie Bradshaw flamande, fashion victime aux formes voluptueuses recherche ″Mr. Big". Hommes mariés ou pervers s'abstenir, s'il vous plaît». Eh bien, chère Amélie, si tu veux vraiment éviter les dégénérés, je te conseille de clarifier rapidement ce que tu entends par "Mr. Big″.


J'ai accepté de suspendre —pour quelques semaines, seulement, j'espère— la garde partagée et de laisser mes enfants passer toute la période de confinement chez leur mère, avec les buts de football, une table de ping-pong, un trampoline, une chambre pour PS4 au sous-sol, et une alimentation équilibrée. Mieux vaut ne pas mettre à l'épreuve l'amour filial de deux adolescents, tu pourrais sortir avec les sentiments brûlés, mon ami. Cette sagesse que j'ai mentionnée auparavant. Je dois investir dans une PS4 pour améliorer un peu mon pouvoir de négociation. «Mieux vaut la PS5, papa, elle sort cet été». Qu’il en soit ainsi, alors. «Mais, viens les voir deux fois par semaine», me suggère-ordonne la belge. Depuis mon appartement, il ne faut que dix minutes en voiture jusqu'à mon ancienne adresse, mais il n'y a aucun moyen d'y arriver sans traverser le périphérique. «A coup sûr, Il y aura un contrôle policier là-bas», dit Carlos. Je consulte un collègue belge, sa femme est policière. «Demande à ta femme, s'il te plaît, si rendre visite à tes enfants est considéré comme un ″déplacement essentiel", si je pourrais être sanctionné pour cela», je lui écris sur le chat interne de la banque où nous travaillons. «Cela dépend», répond-il. Ça dépend de quoi, mec? «De l'interprétation que fera l'agent qui te contrôlera». Tu m'aides beaucoup avec ça, amigo! « Loue une trottinette électrique; tu n'auras pas de problèmes». Est-ce que ce type se moque de moi? S'ils ne m'hospitalisent pas pour des difficultés respiratoires, ce sera pour recevoir des points de suture à la tête. Oublie ça, "mon pote″, et remercie sincèrement ta petite femme pour son soutien.


Je loue un vélo à la commune. L'exercice est autorisé et même recommandé. Il ne pleut pas, mais j'arrive avec les cheveux mouillés et mal aux fesses. Le retour est en descente, ça me console. Nous nous promenons tous les trois dans la forêt. L’ainé n’arrête pas de me parler; il suit en ligne les cours de son école. «C’est génial, papa, je vois mes amis tous les jours». L'autre me répond en langage binaire: «oui», «non»; parfois, plus communicatif, il dit «Je ne sais pas». «Il est fâché parce qu'il ne peut pas aller voir sa petite amie —me prévient sa mère par SMS—; fais-lui comprendre que c'est dangereux». Et qui va me faire comprendre à moi que tout cela a du sens? En plus de mon père à Piura, je dois maintenant parler à mon fils; soixante-cinq ans les séparent, mais le sujet est commun: ce putain de virus; quoi d'autre? Aurai-je aussi peu de cran que pour oser donner une leçon de civisme à mon fils de quinze ans qui veut voir sa petite amie? Moi qui, bien que je produise maintenant beaucoup moins de testostérone qu'avant, n'ai toujours pas réussi à guérir de cette maladie, à dominer l'angoisse qui nous envahit lorsque nous ne pouvons pas sentir, toucher, caresser le corps chaud de notre femme? Accusez-moi de tout ce que vous voulez sauf d'incohérent, s'il vous plaît. Je pourrais même, au risque de recevoir une amende de deux cent cinquante euros, l'emmener voir sa petite amie. C'est urgent, officier. «Déplacement essentiel, monsieur?» Oui, oui, de vie ou de mort, ou bien, n'avez-vous jamais été amoureux, monsieur le policier, ressenti l'appel impérieux de la chair? La perspective de faire face à sa mère, plutôt qu'à toutes les forces de police belges me fait abandonner l'idée. Désolé, mon fils, j'espère que tu es d'accord pour dire qu'il y a des scènes familiales qu'il ne faut pas répéter. Nous rentrons. Je dis au revoir sur le trottoir, monte sur le vélo, jaune canari (comme si la situation n'était pas déjà suffisamment ridicule). «Tu veux boire un café ?», me demande la belge depuis le pas de la porte de ce qui était ma maison. «Ce sont des temps exceptionnels», m'explique-t-elle face à l'air perdu que je ne voyais pas, mais que j'avais sûrement. Temps exceptionnels, en effet; qu'ils durent pour toujours alors. Je ne suis pas infecté, mais j'ai ressenti une soudaine pénurie d'air dans mes poumons. L'endroit m'était, bien sûr, très familier, mais le sol sur lequel je marchais m’était inconnu. Vous me comprenez, n'est-ce pas? Je me lave les mains dans l'évier de la cuisine, prends le sèche-cheveux, un verre dans le placard, la carafe d'eau habituelle. Les automatismes sont toujours là; c'est comme faire du vélo, on ne les perd pas. Heureusement que j'ai mis un paquet de chips dans mon sac à dos pour la route. Qu'on ne dise pas que je viens, tel le fils prodigue, les mains vides et la tête basse. Nous nous sommes assis tous les quatre dans la salle à manger. Il a fallu vingt-deux mois et une pandémie mondiale pour en arriver là. Personne ne me l'a dit, personne n'a été surpris non plus, mais sans y penser, j'ai pris ma place habituelle à la table, en regardant le collage de cartes postales encadrées par paires sur le mur d'en face. Je remarque celles de La Herradura, à Lima, en noir et blanc. Ça me rappelle ma mère, qui est de Barranco. Est-ce que quelqu'un s'est assis sur cette chaise pendant tout ce temps? Est-ce que d'autres fesses masculines mûres vont maintenant la réchauffer? Mieux vaut ne pas demander, Luciano, ne pas penser. Ne pas penser c'est vivre tranquillement. Ma tasse préférée pour le café arrive dans ma main. Je l'ai achetée à Copenhague lors d'un week-end de célibataire-marié avec un ami péruvien. La dynamique est toujours la même: elle veillé sur la bonne tenue des enfants à table, propose des sujets éducatifs, motive la conversation. J'assume mon rôle (celui de toujours): soutenir, compléter, encourager l'échange de points de vue; question de leur montrer que nous, leurs parents, sommes sur la même longueur d'onde, que nos valeurs sont les mêmes... même si ce n'est pas toujours le cas. Mais ce n'est pas le moment des divergences, il faut profiter de cette situation; il peut se passer un certain temps avant que le prochain virus n'arrive. Je fais attention, calculant chaque intervention; elle aussi: les eaux se sont calmées, mais le vent peut se lever à tout moment; on ne sait jamais. C'est une partie d'échecs émotionnelle sur l'échiquier rectangulaire de la table à manger. «Génial, papa», me dit l’aîné à l'oreille quand je pars. L'autre me donne un baiser, sa capuche sur la tête. «Il ne la retire même pas pour dormir», se plaint sa mère. Devrais-je lui dire quelque chose? Je la remercie à un mètre et demi de distance. Ce n'est pas à cause du risque de contagion, non, mais à cause de la distance qui nous sépare encore. Aura-t-elle aussi mis ses photos sur Tinder en claquant des talons dans l'air et en faisant des bisous à la caméra? Je ne pense pas, bien que les profondeurs du cerveau féminin soient impénétrables pour l’homme: il faudrait deux vies, avec leurs nuits complètes, pour comprendre une femme, qu'elle soit française, belge ou péruvienne, c'est la même chose.


Larissa, 39 ans: «Je recherche ma perle rare; je ne suis pas ici pour les drames ou les chantages émotionnels. Un mètre quatre-vingts, sans talons; non-fumeuse». Belle et grande, Larissa, les candidats ne vont pas te manquer; même si je ne suis pas sûr que le ″bijou" que tu recherches respire à moins de cinquante kilomètres à la ronde que tu t’es fixés dans tes paramètres de recherche.


Une amie bulgare m'a appelé pour m'inviter à un "dîner en ligne″. Dîner en ligne; tu te moques de moi, Iris? «Nous allons commander des pizzas; oui, chacun depuis chez soi, évidemment, Luciano. Choisis la pizzeria que tu veux, mais nous devons synchroniser les temps pour que la livraison arrive à la même heure pour tous les invités». ″Invités" a-t-elle dit? Et alors? «Et alors, nous parlerons sur Skype pendant que nous mangeons». D'accord. «Qu’est-ce que tu n'as pas compris, Luciano?». Eh bien, Iris... «Ensuite, nous pourrons regarder tous le même film sur Netflix. Comme je te l'ai dit, la synchronisation des temps est importante, mon petit Péruvien. Nathalie, Ali et Pilar ont déjà confirmé. Je leur ai demandé à chacun de préparer une idée ou un thème de conversation pour les prochains dîners. Je compte les organiser tous les samedis pendant le confinement». Super. «Tu pourrais nous apprendre à cuisiner un plat péruvien, Luciano». Oui, merci beaucoup, Iris, mais cette fois, je vais passer. Je te répond plus tard... si jamais je suis assez désespéré pour bouffer des morceaux de pizza devant mon ordinateur portable.


Je reçois un e-mail de l'agence de services: ils vont aussi s'arrêter. «Nous ne pouvons pas mettre notre personnel en danger; veuillez accepter toutes nos excuses et merci pour votre compréhension, Monsieur». Autrement dit, Clady, la Brésilienne qui vient tous les vendredis, ne viendra pas avant on ne sait quand. En plus de cuisiner, je dois maintenant perfectionner le nettoyage des salles de bains, le balayage des sols et le repassage des chemises. Tranquille, tranquille, Luciano, tu trouveras sûrement un tutoriel sur internet pour sortir de cette situation également. Un couple de moineaux a construit un nid sur la fenêtre de la cuisine. Après le petit-déjeuner, je leur lance des miettes de pain, ils battent des ailes, picorent, gazouillent, ne se souciant de rien, ici tout va bien, mon ami.


Anne, 43 : «L’hygiène chez l'homme que je recherche est une condition fondamentale. De plus, si vous n'avez pas de classe ou si vous êtes très basic dans votre façon de vous habiller, passez votre chemin s'il vous plaît, ne me faites pas perdre mon temps». "Du temps″ tu dis, Anita? Mais si ce que nous avons de trop maintenant, c’est bien du temps, ma chère; si tu veux trouver cet homme fashion et impeccable que tu recherches, tu dois t'adapter aux nouvelles circonstances, ma chère.


À neuf heures du matin, depuis la chambre de mes enfants (vide ces derniers temps), je me connecte au système de la banque pour la réunion quotidienne de travail. Je suis profondément reconnaissant envers les patrons qui ont interdit l'utilisation de la vidéo pour ne pas surcharger le réseau avec trois mille personnes travaillant à distance en même temps. Je peux donc y assister sans avoir pris de douche, dans le pyjama que mon ex-femme m'a offert il y a déjà plusieurs Noëls. (Il faudra le changer un jour ou l’autre). D'un jour à l'autre, la version light d'une peste médiévale a détruit les fondements d'une ″bonne gestion" des ressources humaines et nous sommes passés au travail à domicile permanent. "Le télétravail est obligatoire″, ont clarifié les chefs, et les fotochecks d'accès au bâtiment ont été désactivés lorsque, les premiers jours, plusieurs employés ont continué à se présenter au bureau, déterminés à y entrer. (Laissons libre interprétation à chacun la raison pour laquelle ils préfèrent affronter la bête plutôt que de rester ″à l'abri" chez soi). Ne pas avoir à voir ma patronne en mini-jupe est un autre avantage inestimable du télétravail. N'a-t-elle pas, cette femme, un mari, une amie, quelqu'un qui l'apprécie dans ce monde pour lui dire que certains vêtements ne vont pas à certains corps, surtout quand on a plus de cinquante ans? N'y a-t-il pas de miroir dans sa salle de bain pour refléter ses jambes de poulet avant de partir au bureau? Vous en trouverez sûrement un chez Ikea. Les magasins sont fermés, mais la livraison est gratuite maintenant; profitez-en avant que nous ne devions retourner au bureau... si nous y retournons un jour. Bien que l'objectivité envers soi-même soit un peu compliquée, même avec un grand miroir. Le revers de la médaille est que je ne vois pas non plus la déesse grecque qui est arrivée dans l'équipe l'été dernier. Des cheveux abondants, des yeux couleur miel, une odeur de salade de fruits au yaourt fraîchement préparée. Ce sont de vraies jambes! Fortes, marcheuses, presque neuves, avec une bonne circulation sanguine. On ne peut pas tout avoir dans cette vie, Luciano, accepte-le une fois pour toutes et tu vivras plus longtemps. «Comment allez-vous tous en cette belle matinée? Comment a été votre week-end ?» Ma cheffe suit au pied de la lettre les techniques de motivation du personnel qu'elle a apprises lors des séminaires organisés par les Ressources Humaines pour les people managers. Intéressez-vous à la santé de vos employés, de leurs familles, lui ont-ils dit. «Tout va bien au Pérou, en Grèce ?». Cela sort aussi naturellement qu'une bouteille de plastique d'un litre et demi. Je ne vois pas son petit rire nerveux, mais j'entends sa peau rougir, la tremblote de ses mains, la vibration de ses cheveux blonds et gris. Il y a des choses qu'aucun séminaire, aussi bon que soit l'orateur, ne pourra extirper. Je parie qu'elle mourra de stress avant qu'ils inventent le vaccin. «Je vais vous demander une minute de silence pour notre collègue O qui est décédé hier soir —a-t-elle dit—, malheureusement son corps n'a pas résisté». Comment ? C'est sérieux. Je tape son nom dans la base de données de la banque, je vois sa photo. Je le connais... enfin, je le connaissais. Un type sympa, un peu bedonnant, qui passait tous les ans par les bureaux pour distribuer des calendriers, des tracts du syndicat de la banque. Le virus l'a emporté, il avait soixante et un ans; il lui restait deux ans avant la retraite. Il est tôt, mais j'ai besoin d'un verre, maintenant, c'est urgent. Avait-il une maladie respiratoire préexistante? Ils ne le disent pas. Ça commence à se rapprocher, on entend des pas, on entend les battements d'ailes de la bête qui avance. Il vaut mieux aller ailleurs... mais où? Ma motivation déjà faible est complètement épuisée. Nous passons en revue les tâches de la journée. J'interviens quand c'est mon tour de parler. J'explique ce que j'ai fait vendredi dernier, ce que j'ai prévu pour aujourd'hui. Je demande aussi si je peux acheter un écran, un clavier. Sinon, j'explique, je vais finir par faire exploser l'ordinateur portable de la banque avec mes doigts, dernièrement plus stressés que d'habitude. «C’est possible —explique ma cheffe— la banque va payer; il faut mettre COVID 19 dans la référence de la demande de remboursement» Inévitable d'écrire ce putain de mot si je veux récupérer mes cent euros.


En parlant d'argent, ce mois-ci, pour la première fois depuis que je suis devenu père —il y a déjà dix-sept ans— j'ai atteint le jour de paie avec de l'argent sur mon compte, avec un solde positif; et cela même après avoir effectué le virement mensuel à la mère de mes enfants. "La mère de mes enfants", pardon pour la formule, mais je n'en trouve pas d'autre. Je calcule la partie de mon salaire que je dépense dans les cafés, les bars de football, les restaurants, les escapades en week-end avec la francesita, les présentations de livres, les achats divers et inutiles; le cinéma est également cher ici. En dehors de la nourriture et du gel désinfectant, je n'ai rien acheté ces dernières semaines. Ni la veste coupe-vent pour l'été, ni les verres à vin, ni la table basse pour devant la télévision; toutes ces choses indispensables et incontournables il y a trois semaines ne le sont plus grâce à un insecte tueur que personne n'a jamais vu. Je demanderai à la francesita de me débarrasser du nid d'oiseaux qui pousse sur ma tête (les salons de coiffure sont, bien sûr, également fermés). Une dépense en moins sur mon compte. Encore quelques semaines de quarantaine et je pourrai enfin commander la PS5 pour mes enfants. Money, money, money.


Marta, 42 ans: «Je cherche un homme intelligent —toujours la même chose—, indépendant, financièrement stable et propriétaire». Propriétaire de quoi, ma chérie?



Les gens s’ennuient: Depuis le début du confinement, le nombre de messages WhatsApp que je reçois a augmenté "exponentiellement″ (ce petit mot est à la mode). La créativité s'exacerbe dans des situations extrêmes... le ridicule aussi. Je mets l'appareil en mode avion avant de (tenter de) dormir. Mes amis péruviens sont les plus actifs. Le matin, parmi les cent vingt messages reçus pendant la nuit, j'en vois un de la francesita. Je le garde pour la fin; d'abord, je dois désinfecter le téléphone. Il y a des affichettes, des opinions, des blagues, des articles, des vidéos, des vidéos, et encore des vidéos. Devinez de quoi il s'agit dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas? Un groupe de Piurans faisant la queue avec des packs de bière à la main, le soleil de ma terre au-dessus de leurs têtes, deux centimètres de ″distanciation sociale" entre chaque corps en sueur. «Quelle honte, écrit un ami de école, les gens du Piura sont les plus indisciplinés de tout le pays; le président l'a dit dans son discours à la nation». «C’est l'ignorance des gens, le manque d’éducation», dit un autre. «C’est pour ça que nous sommes comme nous sommes», conclut un autre. Calmez-vous, compatriotes, la vérité est au-delà de l'évidence, comme l'a dit un aviateur français. «Défi relevé», crie une femme en faisant des abdominaux sur un tapis (dans le salon d'un appartement?); un petit chien lèche la sueur de ses jambes; un homme (son mari?) applaudit; on voit des rideaux couleur vin en arrière-plan. Devrais-je cliquer sur "Like″? Je l’ai comme amie sur Facebook, mais je ne me souviens pas l'avoir jamais rencontrée. «C’est très bien, chère amie —commente quelqu'un, une candidate sûre pour le prix Nobel de la Profondeur de l’année deux mille vingt—, il est bon de nous fixer des objectifs en ces temps difficiles que le Seigneur nous a mis comme épreuve». Dieu a-t-il quelque chose à voir avec tout ça? ″L’évêque Edir Macedo affirme que le coronavirus est une stratégie de Satan qui ne touche que les personnes sans foi et propose comme antidote le 'coronafoi', efficace uniquement pour ceux qui croient fermement en la parole de Dieu". Eh bien… rien à ajouter de ma part, mesdames et messieurs. Il y a des recettes maison pour fabriquer des désinfectants; un policier qui bat un enfant pour être sorti de chez lui (ce message me parvient par le chat de l'école, du groupe de Piurans à Lima et d'une amie qui vit au Canada); de la publicité pour Pornohub; les nouvelles de Cortázar pour smartphone (celui-là est apprécié). Le thème de la conspiration ne manque pas: "Le virus a été créé dans un laboratoire chinois pour dominer le monde″. «Racisme», dit l'un. «Je crois vraiment qu'il y a quelque chose de ce type derrière tout cela», dit un autre. Excusez-moi, les gars: il ne fait aucun doute que les Chinois —je parle de Xi Jinping et de ses copains, je précise— ont caché l’″affaire" qui nous occupe ces dernières semaines, et qu'à cet égard, ils sont également responsables, mais l'idée qu'ils ont créé le virus dans un laboratoire pour nous pourrir la vie relève de la fantaisie; ne regardez pas tant YouTube, les gars. Un autre: "Miguel Bosé déclare que Bill Gates est derrière tout cela, et qu'avec le vaccin qu'il finance, ils vont nous mettre une puce dans le corps pour nous contrôler via la 5G″. Les gens discutent dans le chat: «Tout est possible», écrit l'un. Tout est possible, tu dis? Si ce n'est la défaite inévitable de l'intelligence, alors qu’est-ce que c’est? Écoute, mon pot, si tu crois des trucs comme ça, ne te plains pas et ne sois pas surpris si Donald Trump, le clown en chef, est réélu en fin d’année; mon conseil est de lire un peu plus, ça aide à sortir de son trou, les classiques, par exemple; et que "Don Diablo" aille jouer sa musique ailleurs. "Il y a un baby-boom en vue et les cas de violence conjugale explosent". Ça arrive tous les jours, et dans différentes variantes et langues: en Français, Espagnol, Anglais. Quelqu'un m'envoie de la publicité pour des avocats spécialisés dans les divorces express et low-cost. C'est trop tard. Pourquoi ne me l'ont-ils pas envoyé il y a quelques années? «Bonjour, je m'appelle Pilar Sordo...» Qui est Pilar Sordo; qu’a-t-elle fait pour devoir l'écouter parler pendant douze minutes d’affilée; pour devoir recevoir ses "câlins virtuels″? Ma sœur m'envoie la messe dominicale sur YouTube. Est-ce que je devrais la regarder? «Ma cousine travaille avec un conseiller de Vizcarra, il est certain qu'ils vont prolonger le confinement jusqu'à Pâques —assure quelqu'un que je ne connais pas non plus— c'est pour éviter que les fêtards ne s'infectent mutuellement en partageant un verre de bière». Ah oui, très bien vu.


Le poussin avec des dents part une semaine avec son père. «Pourrais-je venir passer quelques jours avec toi, mon chéri ?», me demande la francesita dans son message. Si j'étais un chien, je sauterais de joie dans les airs, remuant la queue frénétiquement. J'essaie de garder mon pouls sous contrôle, au cas où les signes vitaux seraient également transmis via WhatsApp. Il faut montrer une certaine indifférence aux femmes, pour qu'elles ne se rendent pas compte que nous sommes à leur merci tout le temps. Comme l'a dit le sage Sun Tzu dans L'Art de la guerre: ″Un chef doit rester calme et impénétrable en tout temps, que ses plans soient impénétrables". Je sais très bien que la relation entre l'homme et la femme est une relation de pouvoir, j'ai vingt ans d'expérience sur ce terrain. «Bien sûr, tu es toujours la bienvenue, ma chère francesita». Garde ta voix neutre, Luciano. «Quand voudrais-tu venir ?». Il faut que je me rase, que je mette la vaisselle dans le lave-vaisselle, que je passe l'aspirateur, que je change les draps, que je commande trois cents grammes de vol-au-vent chez le traiteur, deux portions de risotto aux champignons. Il faut aussi que je planifie une visite à la pharmacie, à l'heure la moins fréquentée. Il devient urgent de se faire couper les cheveux, mais pour l'instant, il faudra les contrôler avec de l'eau et un peu de gel; il n'y a pas d'autre solution. «Je te confirme prochainement, mon amour, mais promets-moi que tu n'as pas été exposée à la contagion ces derniers jours, Luciano». «Bien sûr, ma chérie, ne t'inquiète pas», je signe avec mon sang que je me suis lavé les mains avec du savon dix-sept fois par jour, que j'ai fait des gargarismes avec du Listerine menthe avant de me coucher, et que j'ai pris ma pastille effervescente de Redoxon après mon café. Je ne veux pas finir en décubitus ventral dans un hôpital belge, seul au monde. «Ce n'est plus un confinement sanitaire, mais sexuel», me dit Carlos. Appelle-le comme tu veux, mon ami; pour moi, c'est la meilleure nouvelle depuis que la nuit est tombée sur cette planète.


Francesca, 46: «Moitié italienne, moitié allemande. Tout ce qui me manque pour atteindre le bonheur est un hamac. FR, EN, DE, IT, ES». Je me demande quels seront tes gènes prédominants, ma chère Francesca. En tout cas, ne te trompes-tu pas d'application avec ce hamac?


Dix-sept heures trente, je me déconnecte du réseau de la banque; il est temps de prendre l'air frais, un peu de lumière solaire, de voir des êtres humains... même de loin. Hier, j'ai couru dans la forêt, aujourd'hui je vais marcher et lire. Il ne suffit pas de prendre soin de son corps, la stabilité mentale est également vulnérable à la "crise sanitaire". "Crise sanitaire", une autre formule pour dire la même chose. Je me mets sous la voûte verte de tous les jours; avant c'était une voie ferrée surélevée, maintenant c'est un chemin, un chemin de terre sans conducteurs nerveux ni moteurs chauds qui te regardent d’un sale œil; cinq kilomètres d'écureuils, de renards et de tranquillité au beau milieu de la ville; il y a aussi, rien n'est parfait, des cyclistes agressifs et des chiens qui font leurs "besoins", mais pas beaucoup, heureusement. Je cherche un banc à l'ombre, j'ouvre Voyage au bout de la nuit, de Céline. Le meilleur moment de la journée a commencé. Un message arrive sur mon téléphone, suivi d'un appel. «Je viens de t’envoyer un lien par WhatsApp pour la bénédiction Urbi et Orbi que le Pape va donner dans dix minutes depuis la place Saint-Pierre, tu dois le voir, mon chéri». Quel dilemme! Retourner à ma quarantaine pour écouter Bergoglio sur mon ordinateur portable ou rester avec Céline sous un arbre? Où trouver la paix? Où est l'antidote à la peur que je ressens dans mon ventre? «Le monde va changer après cela, mon fils, nous devons apprendre la leçon, le bon Dieu nous envoie un message». Comment sera-t-il, ma chère mère! «Je te laisse, ça va commencer maintenant, n'oublie pas de parler à ton père, il est très agité avec cette quarantaine, il ne comprend pas, tous les jours il veut aller à la station-service faire le plein, aller faire des courses, aller au bureau qui est fermé». Je ne voudrais pas te décourager, chère maman, on n’apprend pas aux vieux singes à faire la grimace, surtout s'il a soixante-dix-neuf ans; mieux vaut souhaiter que la chaleur de Piura fasse partir la bête ailleurs, sur une autre planète.



La mère de mon ami, le consul du Pérou à Bruxelles, est décédée à Lima; d’une maladie du cœur, je crois, pas du vulgaire virus. «Je n'ai pas pu voyager —m'a-t-il écrit— il n'y a pas de vols, tous les avions, KLM, Air France, Iberia, sont en arrêt médical; de plus, même si j'étais arrivé en nageant, ils m'auraient enfermé, mouillé et tout, pendant deux semaines dans une petite chambre d'hôtel avec toilette partagé». Voilà comment les choses se passent dans mon pays. Je devrais arriver à l'hôpital régional de Piura... ou dans une église. Mieux vaut ne pas y penser, penser c'est vivre dans l'inquiétude. Je parlerai avec mon père, peut-être qu'en l'effrayant un peu il se calmera. Un garde forestier s'approche de moi: «Il faut circuler, monsieur, les mesures de confinement ne permettent pas plus de cinq minutes sur un banc». Il sourit, comme s’il demandait pardon. Je suis d'accord avec lui, je m'excuse, je circule donc avec Celine dans la main. J'ai développé la capacité de lire tout en marchant. L'homme est ses circonstances, oui; c’est un philosophe Espagnol qui l’a dit. Un mec en caleçon se promène sur sa terrasse, il se montre, plutôt, il se sent intéressant, différent, il veut qu'on le regarde. Nous nous sentons tous intéressants, attrayants, particuliers, nous voulons qu'on nous regarde. Il a un verre à la main. Je pense à la canette de Palm glacée qui m'attend au retour; à un verre de rosé que j'ai dans le réfrigérateur. L'alcool ne tue pas le fléau qui nous est tombé dessus, mais il atténue les symptômes du confinement. Un autre mec vient à vélo, une main sur le guidon, il se filme avec l'autre. Lui aussi se sent intéressant. Deux femmes, jeunes filles, passent en courant à côté de moi. Il est inévitable de les regarder; honnêtement, je ne fais pas non plus d'effort pour ne pas les voir. Ce n'est pas le moment de lutter contre notre propre nature; nous devons garder nos forces pour affronter l'envahisseur quand il arrivera. Elles portent des collants noirs, leur corps est moulé, leur nombril est exposé, elles parlent en courant (une capacité exclusivement féminine), leurs rondeurs se balancent, elles me donnent des idées. Elles se sentent également attirantes; je confirme: elles sont attirantes, perturbatrices, palpables, respirables. Bienvenue au printemps.


Sophie, 41 ans: «Célibataire, sans enfants, je cherche une relation sérieuse, une orthographe correcte et un minimum d’éducation». Très important, chère Sophie; l'orthographe est fondamentale dans toute relation, je suis complètement d'accord là-dessus.


Les "sages" continuent de se propager, mais maintenant ils ont muté en gourous, en pythonisses, en voyants. Des millions de personnes vont perdre leur emploi; une crise immobilière sans précédent nous attend; de nouvelles dictatures; plus de populisme; plus de restrictions à nos libertés; plus de machisme; un nouveau confinement en hiver; la surveillance illégale des citoyens; les droits des femmes de nouveau en danger. Avez-vous quelque chose de positif à nous transmettre, mes chers amis? N'en avons-nous pas assez? En parlant de mauvaises nouvelles: «On ne sait toujours pas quand nous retournerons au bureau, mais certaines banques ont annoncé que ce sera en septembre», commente ma cheffe lors de la réunion du matin. Est-ce que cette dame essaie de me dire que je vais passer l'été dans ce troisième étage, à regarder le monde vert depuis ma fenêtre, plutôt que sur une terrasse une bière à la main, des bruits humains autour de moi? Écoutez, madame, je prends ma dose de magnésium deux fois par jour, mais l'effet n'est pas illimité, il ne fait pas de miracles. «La priorité de la direction de la banque est la santé des employés», continue-t-elle. Quel altruisme, quelle grandeur d'esprit, bordel, je suis ému! Diraient-ils la même chose si le télétravail, celui qu'ils autorisaient auparavant au compte-gouttes, ne marchait pas bien? La banque paiera-t-elle la hausse de nos factures d'électricité, d'eau, nous transférera-t-elle une partie de l'argent qu'elle économise? Merci, chère cheffe, pour cette "bonne nouvelle″, et soyez assurée que ma productivité ne pourra que s'améliorer après ce que vous venez d'annoncer. Pourquoi ne vendriez-vous pas plutôt l'immeuble pour que nous ne voyions plus jamais vos jambes de poulet? «J’imagine que tout le monde a suffisamment dans son assiette, n'est-ce pas?», continue-t-elle avec sa petite métaphore hebdomadaire. Je précise: elle ne s'intéresse pas à notre alimentation, mais elle s'assure que nous avons suffisamment de travail, que nous ne ferons pas la sieste après le déjeuner, que nous ne regarderons pas de vidéos sur nos smartphones pendant les réunions, que nous ne nous couperons pas les ongles sur le clavier, propriété de la banque.


En utilisant un masque, vous êtes protégés; l'utilisation de masques ne garantit rien. L'hydroxychloroquine est un traitement efficace contre le virus; l'OMS déconseille l'utilisation de l'hydroxychloroquine en raison de l'augmentation des battements irréguliers du cœur chez les patients. Prenez de la vitamine C pour renforcer votre immunité; acheter des vitamines ne fait qu'enrichir les laboratoires. Gargarisez-vous avec du sel tous les matins; les gargarismes n'ont aucun effet prouvé contre le virus. La banane bloque l'entrée du coronavirus dans le corps grâce à la lectine; la banane ne bloque pas l'entrée cellulaire du COVID-19. Il y aura une deuxième vague de contagion après l’été; il n'est pas démontré qu'il y aura une recrudescence à l'automne. Une fois que vous l'avez attrapé, vous êtes immunisé pour la vie; l'immunité dure entre deux et trois mois. Seulement une petite grippe d’été; une pandémie sans précédent. Le virus tueur a été créé dans un laboratoire de Wuhan; il est exclu que le virus ait été créé artificiellement, modifié génétiquement. La vapeur d'eau chaude tue la bête; la théorie de la vapeur d'eau est une rumeur virale. Le vaccin sera prêt en décembre; les scientifiques estiment que, si tout se passe bien, un vaccin contre le COVID-19 pourrait être disponible d'ici le milieu de l'année deux mille vingt et un... Où en sommes-nous, messieurs? La seule chose certaine est l’incertitude; comme l'a dit quelqu'un qui a vécu à Athènes il y a pas mal d'années.


Aurélie, 43 ans: «Je recherche un homme grand et large d'épaules, avec un QI et un QE exceptionnels, à la fois sophistiqué et simple». Sophistiqué et simple à la fois, ma chère Aurélie ? On vient de parler de contradictions. Mais bon, tan qu’à demander sur Tinder autant y aller, donc bonne chance, ma belle; surtout avec ces coefficients intellectuel et émotionnel, exceptionnels tous les deux.


Depuis Lima, une amie, Ch, m'envoie un message. Ça fait des années que je n'avais pas de ses nouvelles. Renouer le contact avec elle est l'une des rares choses positives que la épidémie m’a rapportées. Elle s'inquiète de ma santé, de celle de ma famille, elle a lu que la courbe des infections diminue en Belgique et que la capacité hospitalière se libère. Toujours si bien informée, si formelle quand elle écrit. Nous avons travaillé ensemble à Lima. «Peut-être que lorsque nous serons vieux, le destin nous réunira, Luciano», m'a-t-elle dit sur le parking d'une pizzeria à San Isidro, quelques nuits avant que je quitte mon pays avec ma femme, mes deux bébés, une montagne de valises et une poussette. Elle écrit: «Quand la tempête passera, je te demande Dieu Tout-Puissant de nous rendre meilleurs, tels que tu nous avais rêvés lors de ta création parfaite». Ch est une croyante solide, elle ne manque pas une seule messe. Ma mère l'aimerait bien. La francesita, en revanche, ne met pas les pieds dans une église, même par temps de canicule. «Le poème est de Benedetti», me précise-t-elle. J'ai lu par ailleurs que ce n'était pas l'Uruguayen qui l'avait écrit, mais un comédien cubain. Une contradiction de plus. Qui doit-on croire, merde ? «Que ce soit de l'écrivain ou du clown, cela me semble un peu optimiste de toute façon», je réponds. Elle insiste : «Lorsque vous sortirez de cette tempête, vous ne serez plus la même personne que celle qui y est entrée. Tu es d'accord, Luciano, n'est-ce pas? Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Murakami». Ah, oui, Ch aime bien l’écrivain Japonais. Je lui dis que oui, que cela sera probablement le cas; je ne veux pas la décourager, mais je crains que, après la peur et quelques tentatives timides de correction, la plupart d'entre nous retournerons à notre vie frivole, égoïste et pressée. Javier —don Pésimo— Marías pense comme moi; je l'ai lu dans sa dernière chronique du dimanche sur El País. Est-ce que Ch s'est mariée? Je lui pose la question, mais elle ne me répond pas. A-t-elle également créé un profil avec sa photo sur Tinder? Je devrais élargir mon champ de recherche à quinze mil kilomètres de distance pour le vérifier. Oublie ça, mon ami.


Après plusieurs jours, j'ai allumé la télévision. La première ministre belge, très belle à maturité —je lui donnerais un like si je la rencontrais sur Tinder—, annonce en direct son plan de déconfinement. Ce sera progressif, messieurs-dames. D'abord, les magasins de tissus et de couture seront ouverts afin que les citoyens puissent fabriquer leurs propres masques. Ensuite, une semaine plus tard, les magasins et les commerces, mais toujours en respectant les mesures de distanciation sociale. Les écoles ne rouvriront que dans trois semaines, et seulement pour les années prioritaires. Les salons de coiffure également. Les salons de coiffure aussi? Elle ne sait pas que les listes d'attente existent déjà, que la demande de teinture a augmenté de manière ″exponentielle″? Dans trois semaines, les moineaux de ma fenêtre auront déménagé leur nid sur ma tête; je dois faire quelque chose avant, c'est impératif. «J’aime tes cheveux tels qu'ils sont, mon amour», me dit la francesita. Alors, ils resteront comme ça jusqu'à que tu décides le contraire, ma chérie. Nous, les hommes, avons toujours besoin d'une femme pour nous montrer ce qui est bon pour nous dans la vie; pour nous sauver de cette tendance si masculine à retourner dans la caverne; c'est comme ça et il n'y a rien d'autre à dire. Il faudra encore attendre six semaines pour aller dans un café, un restaurant ou mon bar sportif préféré... et cela reste à confirmer. «Tout dépendra de l'évolution de la courbe de contagion, chers compatriotes». Encore un mois et demi? C'est un coup de pied dans l'estomac, madame la Première ministre, pourriez-vous le reconsidérer s'il vous plaît? J'en ai marre des raviolis à la sauce pesto, de la salade de carottes avec des tomates, de boire ma bière en regardant par la fenêtre, de lire Céline en marchant ce qui me tord le cou. J'ai besoin de m'asseoir, que quelqu'un m'apporte le filet américain avec des frites, mon double expresso à la table; n'est-ce pas le cas pour vous? Maximum dix-sept personnes dans le tramway en même temps; un peu moins dans les bus. Combien dans le métro, madame? Je vais devoir me lever à six heures du matin pour ne pas arriver en retard au bureau... si nous revenons un jour au ″travail en présentiel″. Quand allons-nous revenir à la normale? La normalité, la normalité, la normalité. Veux-tu vraiment revenir à la normalité, Luciano? Continuer à salir la planète, ne jamais trouver de place de parking ; une vie encombrée, serrée, bruyante; vivre en prétendant; à la futilité de la veste mi-saison? Qu'est-ce que la normalité, finalement? Est-ce cela qui était censé être pour toujours jusqu'à ce qu'un jour, grâce à une soupe de pangolin, ce ne soit plus le cas? La ″nouvelle normalité″ sera-t-elle meilleure que l'autre, l'ancienne, celle d'avant, celle du Bruit et de la Furie? Et qu'en est-il, chère madame, de la Ligue des champions, de mes billets d'avion pour le Pérou, des camps de scouts de mes enfants, des vacances d'été, du week-end à Paris avec la francesita? Nous devons réserver les hôtels à l'avance, acheter les billets pour le concert des deux cents ans de la naissance de Beethoven, demander à la voisine si elle peut donner de l'eau au cactus d'Ikea quand je ne suis pas là. Nous devons nous organiser, madame, faire nos projets. Des projets? Si tu veux faire rire Dieu, raconte-lui tes projets, Luciano. Nous ne sommes rien. Une année perdue ... ou gagnée ? Mieux vaut tout oublier, ne pas penser, vivre est facile les yeux fermés; John Lennon l'a déjà dit.


Inge, 43 ans : «La vie est un voyage et non une destination». C'est vrai, ma chère Inge, je suis entièrement d'accord avec toi: Vivre, c'est vivre maintenant et laisser demain à quelqu'un d'autre.


Belgique, mars-avril 2020.

[1] Il n'y a pas de dicton similaire en anglais. L'idée est que l'attirance sexuelle pousse les hommes à faire des choses stupides juste pour satisfaire les idées les plus fantaisistes des femmes. [2] Plat typique de Chiclayo, ville ou province du département de Lambayeque, au nord du Pérou. [3] Plat péruvienne populaire.

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